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La disparition
20 juin 2017

Quand on vient te chercher…

Le 19 Août 2014 au petit matin, le ciel lui tombe sur la tête lorsque des uniformes cagoulés défoncent la porte de son appartement et embarquent l'une de ses quatre filles. Nathalie*est issue d'une famille catholique, convertie à l'islam dans sa jeunesse. Elle est pieuse, douce et forte mais n'a rien décelé des intentions terroristes de sa cadette, Iman. Deux ans et demi plus tard, passée la colère, elle se bat pour rendre à sa fille une vie normale, une nouvelle vie ou une seconde vie. Porter le fardeau d’être la mère de la «terroriste», comprendre la gravité des faits et être en mesure d'y faire face, ne jamais rien lâcher… Un processus long basé sur la fermeté, le dialogue et le soutien psychologique qu’elle est allée chercher partout où il se présentait. Quand nous contactons Nathalie pour la première fois, c’est au téléphone, elle est méfiante. Sa fille est toujours fragile pense-t-elle. Nathalie craint que l'intrusion de journalistes dans leur intimité ne vienne casser ce long travail. Puis au fil de la discussion, sa voix s'adoucit: «Vous savez, ma fille, c'est la meilleure preuve que l'on peut s'en sortir». Et pour nous le prouver Nathalie accepte un premier rendez-vous. Mère et fille se présentent à nous un bel après-midi d'été à la terrasse d'un restaurant, une adolescente pimpante dans sa robe estivale et sa maman voilée, aimable et souriante se racontent sans faire semblant, sans omettre les détails sombres de ces mois qui ont failli faire basculer la famille entière. Puis les deux femmes nous accueillent dans l'appartement familial, celui-là même où tout s’est joué, où la porte fût fracassée. Nathalie a d'abord laissé Iman nous parler, seul à seul. Un acte pour solenniser l’acceptation de cette «histoire», tout raconter avec leurs mots pour tourner une page. Iman est partie rejoindre ses amis –des vrais amis, pas des amis virtuels– Nathalie s'est isolée dans la cuisine, et s'est confiée à son tour. Un long tête à tête face à la plus difficile épreuve de sa vie de maman… Quand vous-êtes vous rendu compte que votre fille avait basculé? Juste quand les policiers sont venus la chercher, en août 2014, le jour de son arrestation en fait. À 6h du matin, la DGSI, le Raid et tout le commissariat du coin défoncent ma porte, ils viennent chercher ma fille. Ils perquisitionnent et Iman parle avec eux, elle veut savoir ce qu’il va se passer ensuite. Les policiers m'ont annoncé qu'Iman était en contact avec des gens en Syrie et en France aussi. Ils m’ont dit qu'elle projetait de commettre un attentat. À ce moment-là, oui, le ciel vous tombe sur la tête. C’est une intervention antiterroriste? Oui, je crois que c’est ça, ça a été très musclé, il y a eu beaucoup de bruit. Je suis arrivée vers la porte d’entrée de l’appartement, il n’y avait plus de porte. Ils étaient une vingtaine, tous cagoulés, ils se sont jetés sur moi et ils cherchaient ma fille. Ils voulaient à tout prix savoir où était Iman, ils sont allés dans sa chambre, elle dormait. Vous compreniez ce qu’il se passait? Non, non, c’était incompréhensible je ne pensais pas du tout que ma fille avait des contacts avec ces gens, avec la Syrie, avec tout ça… Iman avait changé ces derniers mois? Iman portait le foulard depuis peu de temps. Elle était un peu plus agressive les semaines précédant l'arrestation, mais moi je pensais que c’était de la frustration par rapport à son âge, 17 ans, et le fait qu'elle veuille quitter le foulard aussi, ça la perturbait. Vous-même, vous portez le foulard, c'est quelque chose d'important? Oui, mais c’était son choix à elle de le porter. Quand elle m'a dit qu'elle voulait le porter, je lui ai expliqué qu'en tant que lycéenne, il fallait qu'elle le quitte devant le lycée; au travail il fallait qu'elle le quitte aussi, mais ça a été son choix. Enfin je pensais que c’était son choix. Mais en fait, c’était sur Facebook, les personnes avec qui elle parlait lui disaient qu'elle était une mauvaise musulmane parce qu'elle ne se couvrait pas la tête. Quelle est votre relation à l’islam? Je suis convertie depuis 25 ans et ça fait une vingtaine d’années que je porte le foulard. L'islam à la maison ça a toujours été une religion simple. Je n’ai jamais forcé mes filles à porter le foulard ou à faire les prières. Elles me voyaient pratiquer, elles sont nées musulmanes de toute façon. Pour moi porter le foulard c'est une question personnelle, une suite d’événements dans l'islam. De toute façon si je l’avais forcée à le porter, elle ne l’aurait pas fait de bon cœur, ce serait une hypocrisie. J'ai éduqué mes filles tout simplement, avec un droit à l'expression, le droit de s'habiller comme elles le voulaient. Elles sortaient, elles invitaient des amis à la maison. Il n’y avait pas d'interdits du moment où je savais avec qui elles étaient. Iman a eu une adolescence normale, une jeune fille de 17 ans qui va à l’école, qui écoute de la musique. Une fille qui s'amuse, qui profite de la vie, qui va au restaurant. On est partis au ski, à la plage, bref tous les loisirs d'une gamine de 17 ans. Elle a eu ses diplômes sans problème. C'est une enfant ordinaire. Je lui expliquais que l'Islam ce n’est pas ça mais je ne m’inquiétais pas plus parce que je ne pensais pas qu'elle était dans ce délire de vouloir partir Vous n’avez rien su de son embrigadement? Non absolument pas! Quelques mois avant, tout se passait bien. Elle allait au lycée. Elle faisait ses stages professionnels, elle était dans l'année ou elle allait passer son BEP et elle l'a eu! Tout se passait bien hormis Facebook. Mais ça je ne le savais pas à l’époque. Iman était alors beaucoup sur internet? Elle ne parlait pas de ses fréquentations sur Facebook. Je pouvais ne pas voir ce qui se passait parce que je n'avais pas de Facebook. Je pensais qu'elle parlait avec des copines de son lycée, mais début août, elle a commencé à parler vraiment des gamins qui partaient et qui mouraient en Syrie dans les combats ou pendant l’entraînement. Ils mouraient au djihad. Je lui expliquais que l'Islam ce n’est pas ça mais je ne m’inquiétais pas plus que ça, parce que je ne pensais pas qu'elle était dans ce délire de vouloir partir. J’ai compris qu'elle était mal dans sa peau à ce moment-là, mais absolument pas qu’elle voulait partir. Je n’ai rien vu venir du tout, mais vraiment rien! Trois jours avant l’arrestation, sa sœur m'avait montré le téléphone d’Iman, elle regardait l’itinéraire pour aller au Cham en Syrie. Moi je ne prenais pas ça au sérieux malheureusement, je n'ai pas été attentive sur ce coup là. Je culpabilise un petit peu, parce que je me dis que j'aurais pu intervenir un peu plus tôt, mais en même temps si j’étais intervenue, elle serait partie. Elle ne serait pas là. Maintenant elle a été arrêtée, elle est sous contrôle judiciaire, elle n'est pas libre complètement, mais elle est quand même en liberté, elle est avec nous, elle a passé son bac. Dans le mal, il y a toujours un bien. Ce sont ses contacts virtuels sur les réseaux sociaux qui l’ont convaincue? Iman les appelait «ses sœurs Fillah», elles lui disaient que si elles ne se couvraient pas elle serait une mauvaise personne, une mauvaise musulmane. Si elle ne partait pas au Cham en Syrie, elle était une mauvaise musulmane. Iman se culpabilisait. Ça s'est fait tout doucement, et elle a porté le jilbeb. C'est quoi des «sœurs Fillah»? Des sœurs de religions, elles se conseillent, elles s'envoient des versets coraniques sur internet. Ces filles se considèrent plus sœurs qu'avec les liens de sang. Iman en parlait un tout petit peu au début, en disant «telle sœur Fillah m'a envoyé ça» mais moi je croyais que c’était une boutade rien de plus. Pour moi il n’y avait rien d’inquiétant. Elle me demandait de lui acheter des livres sur la religion, je le faisais…

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